Wait, I know you ! Feat Zacharya

Il porte la choppe à ses lèvres, savourant la bière un peu tiède qui vient pourtant de lui être servie. Le jeune homme ne boit pas beaucoup, mais il y a une occasion qu'il arrose systématiquement d'un verre : l'exécution réussie d'un contrat. Traditionnellement, il reste quelques jours en ville suite à un contrat, attendant une chose bien spécifique : la rumeur qui enfle, qui gonfle sur la mort de celui ou celle à qui il vient d'ôter la vie. Le peur qui commence à naître dans le cœur des habitants du coin.. Et s'ils étaient les prochains ? Qui aurait bien pu faire ça ? Y avait-il un contrat ? Ou serait-ce un fou qui serait à l'œuvre ? Les questions et les craintes se répandent comme une trainée de poudre.. Et parfois, il s'amuse à allumer la mèche pour observer la flambée de panique..

Ce soir, il est légèrement déçu. Il n'a pas l'impression que la nouvelle se soit déjà répandue. Personne n'en parle, les conversations sont légères et frivoles. Il ne peut retenir une moue désabusée, cachée sous la capuche qui lui sert de barrière contre le monde. Il a l'impression d'entendre un soupir dans les méandres de son esprit.. Il secoue la tête et ingurgite une nouvelle lampée de son breuvage qui a maintenant le goût amer de déception, mais qui fera sûrement taire cette voix qui le suit depuis tellement - trop - longtemps. Il observe la populace badiner, rire, jouer à des jeux de boissons. Il observe la triste nature humaine : boire pour oublier ses problèmes plutôt que les affronter. En quoi mériterait-elle d'être sauvée, cette pathétique humanité ? Pourquoi s'acharner à tenter de ramer à contre courant d'une idéologie de l'autruche encrée depuis bien trop longtemps ?  Cette fois, ce n'est pas la voix dans sa tête mais bien lui qui soupire. Longuement. Il ne reste plus rien à sauver.

La porte s'ouvre et instinctivement, son regard se porte sur le nouvel arrivant. Ou plutôt sur la nouvelle arrivante. Immédiatement la voix se manifeste. « C'est elle ! » Il recule, s'enfonce dans l'ombre. Devient l'inconnu étrange dans le coin de la taverne, celui qui n'a aucun intérêt aux yeux des autres. Il devient invisible. Il sent pourtant le regard de "l'inconnue" glisser sur lui. Elle scrute la salle quelques instants, comme pour jauger tout ce beau monde et passe vite à autre chose. Elle commande quelque chose à manger qu'elle ingurgite assez vite. Il n'arrive pas à la quitter du regard, hypnotisé par ce fantôme du passé.. Mais ça ne peut être elle. Ibtissam est morte. Depuis longtemps. Dix-sept ans. Elle est morte. « Mais non, c'est elle ! » La petite voix ne peut avoir raison.. Pourtant. Pourtant elle a cette même mimique lorsqu'elle replace ses cheveux derrière son oreille, lorsqu'elle se brûle la langue avec son repas encore fumant ou fronce le nez alors que son esprit semble s'égarer. Les gens peuvent faire semblant de changer, à défaut de le faire vraiment, mais il est très difficile de changer toutes ces petites mimiques dont on a même pas conscience. Alors, se pourrait-il que..

L'inconnue coupe court au débat qui fait rage dans l'esprit du mercenaire. Elle se lève et sort de la taverne. Il suit le mouvement. Il avait attendu patiemment sa prochaine action et décidé que si elle sortait, il la suivrait. Il fallait qu'il mène son enquête, qu'il en ai le cœur net. Il fallait qu'il sache. Il était convaincu, au fond, qu'il s'imaginait des choses. Qu'il se faisait des films. Elle ne pouvait pas être partie sans un mot, elle ne pouvait l'avoir abandonné. Non, elle ne pouvait pas l'avoir abandonné. Quelque part, ce serait pire que le jour où il avait apprit sa mort. Ce serait une plus grande douleur, la pire des trahisons. Donc ça ne pouvait pas être elle. Il ne pouvait se permettre que ce soit elle. Impossible.

Il la suit donc. Elle semble se diriger vers des chevaux, mais elle bifurque. Il est tellement obnubilé que ce détail qui l'aurait alerté d'accoutumé lui passe au-dessus. Elle parcourt quelques rues, comme au hasard. Lui qui commence à bien connaitre les rue d'Al-Jeit, s'il était concentré, aurait du noter l'incohérence du parcours. C'est pourtant ce qui le sauve bien souvent, son sens de l'observation.. Mais ce soir son esprit semble embrumé. Elle tourne et tourne encore et soudain, alors qu'il bifurque à son tour, elle l'attend de pied ferme. « Qui êtes vous ? » Instinctivement placé dans une parcelle d'ombre, il est tétanisé. Le regard d'Ibtissam est planté dans le sien, même si elle ne doit sûrement pas voir grand chose de son visage. Encore encapuchonné, il reste sans voix. Il ne remarque même pas les dagues qu'elle a dans chaque main ou même sa posture, prête à bondir. Tous ces petits indices qui pourraient lui en dire tellement sur celle qu'elle est devenue se perdent dans son esprit alors que lui même a l'impression de sombrer.

Non, non, non, non, non.. Impossible. Il doit confondre, se tromper. Elle n'aurait jamais pu lui faire ça. Elle n'aurait jamais osé. Elle savait ce qu'elle représentait pour lui. Non. Impossible. Elle ne l'aurait pas abandonné à la Mégère. Non, impossible. Elle n'aurait pas sciemment brisé les dernières parcelles de ce petit garçons aux rêves trop grands. Non, impossible. Il secoue la tête, comme pour faire taire la petite voix, mais elle aussi semble incapable de se manifester. Le souffle coupé, incapable de produire le moindre son, il se contente de s'avancer et de baisser fébrilement sa capuche, laissant échapper sa tignasse si reconnaissable et plantant à son tour son regard de glace dans celui de celle qui l'avait brisé.

La posture de Maud semble se relâcher légèrement, mais peu importe. Rien d'autre n'importe qu'elle. Il observe son visage, ses traits, les expressions de surprise et d'incompréhension qui se succèdent. Elle semble perdue, presque autant que lui.. Pourtant, cela n'a pas de sens, après tout c'est bien elle qui est partie, elle qui l'a abandonné. Elle n'a pas le droit d'être perdue. Elle n'a pas le droit de ne pas comprendre. Ca c'est son rôle à lui et comment ose-t-elle le lui voler ? « Zach ? » Sa voix est tremblante, elle a perdu toute sa fougue, toute sa rage. La femme aux réflexes impressionnants et à la grande gueule laisse entrevoir la gamine qu'il connaissait. Celle qui l'appelait Zach. Mais elle ne le sait pas, Zach meure à petit feu au fond de lui. Il l'étouffe toujours un peu plus et n'aspire qu'au jour où il aura disparu. En attendant, il reste muet comme une carpe. Pourquoi répondrait-il ? Il n'est pas Zach, après tout. Il ne l'est plus.

Elle laisse quelques instants passer. Cela lui parait être une éternité. Il ne sait pas quoi dire, par où commencer. Il ne voit pas comment entamer une conversation aussi compliquée, aussi douloureuse. Il se rend compte, d'ailleurs, qu'il ne sait même pas quoi penser ou comment réagir. Lui qui ne fait que réfléchir, observer, analyser.. Là il est à court d'idée. A court d'énergie. Dans tout cela, rien n'a de sens. « Zach.. C'est bien toi ? J'ai.. Je croyais que tu ne voulais plus me voir, que tu m'avais oubliée. Comment tu vas ? » Il laisse échapper un rire sarcastique. Première réaction de sa part, non maitrisée, il n'aime pas ça. Il se referme instantanément et son visage perd ce rictus pour redevenir de marbre. La mâchoire se serre; les sourcils froncent légèrement. « Comment je vais ? » Il n'en revient pas, elle a osé. « Tu oses me demander comment je vais ?! » La voix déraille, il perd la maîtrise du ton. Il n'aime pas ça. Il n'a pu s'empêcher d'appuyer le "oses". Elle se fout de sa gueule, c'est pas possible autrement ! « Laisse lui le bénéfice du doute.. » Il sert un peu plus des dents, elle ne le mérite pas. Elle ne mérite même pas qu'il gaspille son précieux temps avec elle dans cette ruelle un peu miteuse. Elle ne mérite rien. Finalement, cela aurait été plus simple si elle avait été morte.. « Non ! » Il inspire et expire longuement tout en ignorant la petite voix.

Il a envie de hurler. Tout son corps lui crie sont besoin d'extérioriser. Mais il reste tétanisé, les mâchoires toujours bien trop serrées. Les mots semblent siffler entre ses dents lorsqu'il continu. « Est-ce que tu te rends seulement compte de ce que tu as fais ? De l'impact que ton départ a eu sur moi ? » Il laisse quelques secondes de pauses dramatique. « Est-ce que tu en as eu seulement quelque chose à foutre ? » La colère, la tristesse, le manque, le vide en lui, la joie - quelque part -, tout se mélange dans cette phrase qui traduit à elle seule la trahison ressentie, le traumatisme subit. Quelque choses s'est cassé, en lui, lorsqu'elle est partie.. Quelque chose s'est brisé en lui. et ce qui le tue à petit feu depuis dix-sept longues années, c'est qu'il se rend compte qu'elle était bien en vie et qu'elle n'en a jamais rien eu à foutre.

Son regard de glace est toujours planté dans celui de Maud, qui semble désorienté. Il maintient la pression, espérant qu'elle sente toute la rage qui bouillonne en lui, qui s'est accumulée depuis tant d'années. « Je t'ai laissé un mot, je t'ai expliqué pourquoi je partais ! Je t'ai donné rendez-vous trois ans plus tard, au Repère, et j'étais là ! » Sa mâchoire en tombe. Elle ose. Elle ose mentir. Elle ose se cacher derrière un mensonge inventé de toutes pièces. Elle y a pourtant mis cette petite vibration qui aurait pu l'attendrir, tant d'émotions qu'il aurait pu y croire.. Il aurait presque pu y croire. Elle est forte. Mais il n'en est rien. Il n'est pas dupe. Il a compris depuis bien longtemps que les gens ne sont pas dignes de confiance, ne sont plus dignes de confiance. Lui seul l'est.

Elle ferme les yeux une seconde, comme pour reprendre contenance et enchaîne. « Écoute, on ne peut pas finir cette conversation au calme, et au chaud ? Je suis fatiguée. et j'ai visiblement beaucoup de choses à t'expliquer. » Il ne peut retenir un rire sarcastique, amer. Surtout amer. Elle joue vraiment bien la comédie, heureusement qu'il ne se laisse pas berner si facilement. « Tu crois que j'ai besoin de m'installer bien confortablement ? La bonne blague.. J'avais besoin de toi. Voilà de quoi j'avais besoin, il y a bien longtemps.. Et tu n'étais pas là. » Son regard toujours planté dans celui de celle qui l'a trahie. « Peut-être qu'elle dit la vérité ? » Il secoue la tête. Ce n'est pas le moment d'écouter cette petite voix agaçante. Surtout qu'elle a tort. « Je ne veux pas de tes explications, surtout que je sais d'avance que ce ne sera que des ramassis de mensonges. Tu as déjà commencé avec ton soit disant mot. Tu n'en as jamais laissé. Je le sais, tu le sais alors arrêtons les frais, veux tu ? » Sa voix se brise légèrement sur les derniers mots et il se maudit pour ça. Il ne voulait pas montrer de faille et d'habitude il est très bon à ce petit jeu. Mais en face de lui, il n'a pas n'importe qui.. Il a celle qui a été sa famille. Celle qui comptait plus que tout. Et ses mensonges le blessent. Il aurait préféré qu'elle soit franche avec lui. Il aurait préféré, alors peut-être qu'il lui aurait laissé une chance..

« Je t'ai suivie ici uniquement parce que je voulais avoir le coeur net, je voulais m'assurer que je n'avais pas rêvé. Ce n'est pas le cas. J'ai la preuve de ta trahison et même de tes mensonges, désormais. » Il parvient, cette fois, à rester dur et tranchant. Il a pourtant le coeur qui part en miettes, qui saigne et ses émotions qui tourbillonnent en lui. Il voudrait la prendre dans ses bras, tout oublier, mais il ne le peut pas. Il ne peut avouer qu'elle lui a manqué. « Il ne sert à rien de pousser plus que ça. Adieu Maud. » Il a évité de l'appeler Ibtissam volontairement, pour marquer la rupture qu'il y avait entre eux. Elle n'était plus Ibtissam pour lui, plus depuis qu'elle était partie. Il remet sa capuche et se retourne commençant à s'éloigner d'elle. Si vous aviez été face à lui a ce moment précis, peut-être auriez vous vu ses yeux briller, une larme tentant de s'échapper. Il inspire et relève la tête pour, à son tour, reprendre contenance. « Tu es stupide. Tu fais la plus grosse erreur de ta vie. »

Elle dit qu'elle a écrit un mot, elle le cite même. Mais il ne la croit pas. Il ne peut la croire. Elle l'invente sûrement. Et elle enchaîne sur d'autres mensonges, encore et encore plus de mensonges. Elle promet, mais ses promesses n'ont plus de valeur pour lui. Elle lui avait promis qu'ils ne se quitteraient jamais. Elle l'avait brisée, cette promesse. Et même si elle ne ment pas, cela ne change rien. Il est résolu. Il ne se retournerait pas. Il ne se retournerait plus jamais sur cette vie d'avant. Sur ce passé qui l'a rongé pendant tant d'années. Avec un peu de chance il laisserait aussi la petite voix derrière lui, il serait enfin seul, enfin tranquille. Il aspire à l'apaisement d'une âme troublée depuis trop longtemps.

Soudain, elle est face à lui et il se félicite d'avoir su retrouver la face. Il s'arrête. Il se maudit de s'être arrêté, il n'aurait pas du. « Je ne te laisserais pas partir. Tu devra me tuer si tu souhaite disparaître. » Les mots sont durs, elle semble déterminée malgré son regard embué de larmes. Son coeur se serre. « Peut-être que j'avais raison, finalement.. » Ses certitudes craquellent à mesure que son coeur se fissure. Et si la petite voix avait raison ? Et si elle ne mentait pas ? Et si ? Il ne sait plus quoi penser et la détresse de Maud n'arrange rien. Ses bras amorcent un mouvement pour la prendre dans ses bras, la rassurer, mais il le réprime presqu'immédiatement. Son instinct protecteur tente de reprendre le dessus, mais il le refreine. Elle ne gagnera pas.. Pas si facilement. « Mais qui a dit qu'il fallait un gagnant ? C'est Ibtissam, pas un rival.. » Il entend presque la petite voix soupirer. A la place, il répond du grand Zacharya.. « Je pourrais me laisser tenter, ce que je croyais depuis des années concorderait enfin avec la réalité.. » Il se mord la langue. Littéralement. Pourquoi a-t-il fallu qu'il soit lui ? L'expression de Maud lui laboure le coeur plus sûrement que des lames. Ils n'ont pas besoin de se battre, son regard pourrait le mettre a genou.

« Zach ... S'il te plait ! Laisse moi expliquer, laisse moi raconter pourquoi je suis partie ! » Son ton se fait plaintif et la volonté du mercenaire craquelle à son tour. Il a raté sa chance de partir. Il n'aurait pas dû s'arrêter, il le savait. Il était désormais incapable de faire un pas de plus, de la contourner, de l'ignorer. Le regard de Maud était rivé au sien et désormais, c'est elle qui avait l'ascendant. C'est elle qui parvenait à verrouiller sa détresse au regard glacial de Zacharya. Et il ne pouvait l'ignorer, il n'y parvenait pas. Il soupire, hoche la tête et sans un mot, il bifurque pour reprendre le chemin de la taverne.

Elle le précède pour le guider vers sa chambre. Il suit sans broncher, les mains enfoncées dans les poches et le visage complètement fermé. Il est complètement perdu et préfère ne pas le montrer. Son mentor se retournerait dans sa tombe rien qu'à l'idée de le voir la suivre, de lui laisser une chance. Il lui avait rabâché de laisser sa vie d'avant derrière lui, qu'il n'était plus ce petit garçon des rues d'Al-Chen. Il était quelqu'un d'autre. D'après son mentor, il devait tuer ce petit garçon pour renaitre mercenaire.. Mais il n'y est jamais vraiment arrivé. La petite voix s'accroche, encore et toujours. Et c'est pour ça qu'il est dans cette chambre aujourd'hui, observant Maud se laisser tomber contre la porte qu'elle vient de fermer. Elle a l'air d'avoir tout le poids du monde sur les épaules. Lui aussi à ce sentiment étouffant mais il ne lui permet pas de le voir.

Soudain, les mots déferlent. Elle lui parle d'opportunité, de meilleure destinée. Elle lui dit qu'elle a toujours voulu revenir, qu'elle a toujours pensé à lui.. Et il a envie de la croire. Il a vraiment envie mais n'y parvient pas vraiment. Il a tellement été entrainé à la méfiance que même Maud qui se met a nu devant lui ne suffit pas, pas encore. Et si elle mentait encore ? Pourquoi, il ne sait pas, mais la méfiance est là. Et puis elle dit avoir tué la Mégère, et ça il le croit. Lorsqu'elle était morte, il avait immédiatement pensé à Maud.. Mais pour lui, c'était impossible puisqu'il la pensait morte. « La Mégère, c'était toi.. » Quelques mots qui s'échappent et son esprit qui s'agite. S'il avait cherché un peu plus, s'il s'était posé plus de questions à l'époque, s'il n'était pas parti sans se retourner.. Peut-être qu'il aurait pu retrouver l'assassin de la Mégère, et donc Maud.. « J'étais présent à son enterrement. Je voulais m'assurer que c'était bien vrai. D'ailleurs, je me suis tout de suite dit que si tu n'étais pas morte, ça aurait pu être toi. Mais pour moi, tu l'étais. Je n'ai pas cherché plus loin. » Il se surprend à être aussi loquace. Il pensait écouter sans rien dire mais il ne peut retenir les mots.

Elle essuie ses larmes et enchaine.. Elle parle alors de devenir plus forte, d'enseignement, de trois années et de Voie.. Et là, il fait le rapprochement avec sa posture, ses réflexes, sa démarche. S'il avait prêté attention, tout criait au marchombre. Mercenaires et marchombres ont toujours été opposés.. L'harmonie contre le chaos. Le chaos contre l'harmonie. Par définition, ils sont devenus des opposés et le cœur de Zacharya se serre. « Tu es devenue une marchombre.. » Quelques mots à peine audibles. Il n'en revient pas.. Comment leurs chemins ont-ils pu être si différents ? Ils sont désormais voués à être ennemis, rien de plus. « Tu dis ça pour pouvoir fuir ! » Il ne voit pas la vie en gris, tout est blanc ou noir, point.

Elle ne lâche pas son regard et peut-être peut-elle y lire de la détresse.. Elle lui répète qu'elle lui a laissé un mot, qu'elle l'a cherché et qu'elle tient à lui. Il commence à y croire mais quelle importance ? C'est une marchombre et lui un mercenaire. Même la vérité d'une autre vie ne peut faire face à la réalité qui est la leur aujourd'hui. « Même si tu dis la vérité, tu ne penses pas que tu aurais pu me dire au revoir ? Plutôt qu'un simple mot sur un mur ? Tu ne penses pas que je méritais mieux que ça ? » Il ne l'a jamais vu ce mot, mais quelqu'un a très bien pu l'effacer.. Ils étaient persuadés que personne ne connaissait l'emplacement de leur repère mais ils n'étaient que des gosses.. On aurait très bien pu les suivre sans qu'ils ne s'en rendent compte..

Il avance et vient se laisser tomber à côté d'elle, abandonnant son masque. Son visage a alors l'air fatigué et l'on pourrait penser qu'il a, lui aussi, tout le poids du monde sur les épaules. « Dans tous les cas, rien de tout cela n'a d'importance. Plus maintenant.. » Il soupire, prend sa tête dans ses mains et ferme les yeux. Il a l'impression de redevnir le gamin d'Al-Chen l'espace d'un instant. Il lève le regard vers Maud pour prononcer des mots qui lui arrachent la bouche.. « Nous avons pris des chemins différents, trop différents. Je voulais laisser une chance, nous laisser une chance, mais ce n'est plus envisageable. » Il ne lui parle pas du chemin que lui a emprunté, du chaos qu'il a embrassé. Il n'en a pas le courage.

Elle se contente de hocher la tête. Il lui livre son ressenti, sa colère, sa rage qu'elle soit partie sans un mot et elle se contente de hocher la tête. Elle ne semble pas capable de faire plus. Et à la fois, il voudrait lui en vouloir mais il se dit qu'il n'est pas dans un meilleur état. Il n'est pas sûr qu'il saurait faire mieux lui-même. D'ailleurs, lorsqu'il continue de parler, il ne fait pas mieux. Il le sait. Il sent au regard de Maud. Il le sent au désespoir qu'il sent dans sa voix lorsqu'elle lui répond. Mais elle a tort. Rien de ce qu'elle dit n'est juste. Il n'est plus Zach et elle n'est plus Ibtissam pour lui. Elle souhaite peut-être réellement l'empêcher de fuir, mais ce n'est pas une option, ce n'est plus possible. Ils ne seront plus jamais ce qu'ils étaient l'un pour l'autre..

Alors que son regard s'est perdu dans le vague et que ses pensées divaguent, un contact le ramène brutalement dans la réalité. Il tourne le regard à nouveau vers elle. Puis vers sa main emprisonnée dans celle de Maud. Il n'essaie pas de la retirer. A la fois parce qu'il n'est pas sûr de le vouloir et à la fois parce qu'elle serre si fort qu'il n'est pas sûr de le pouvoir. « Pourquoi ? » Il laisse quelques secondes de silence après avoir lâché un petit rire amer. « Parce que c'est faux. Parce que je ne suis plus Zach. Zach est mort il y a bien longtemps pour laisser place à celui que je suis aujourd'hui. Il n'était pas assez fort, il ne pouvait survivre. » Il entend la petite voix tempêter en fond mais l'ignore. « Parce que tu n'es plus Ibtissam.. En tout cas, plus pour moi. Parce que si tu l'étais encore alors tu avais choisi de m'abandonner et comment je pouvais accepter ça ? » Il serre à son tour la main de Maud.. Ou d'Ibtissam.. Il aimerait tellement pouvoir l'appeler ainsi, mais il en est incapable. C'est trop tôt. « Et il est aussi faux de dire que je veux m'enfuir.. » La voix rouspète encore. « Je n'ai pas le choix. Pas plus que toi.. Tu me parles de cible, mais ce que tu ne saisis pas encore, c'est que la cible, c'est moi. » Son coeur se brise un peu plus et il retire délicatement sa main de celle de Maud. Elle ne semble pas comprendre, ou ne pas vouloir comprendre. Il se lève, fait quelques pas, restant dos à elle. Il n'a pas envie de prononcer ces mots.. Pas devant elle. Comme s'il n'assumait pas la voie qu'il avait choisi.. Et en même temps, cela avait été sa seule chance de survivre à ce monde merdique.. Et en même temps, il est convaincu que seul le chaos, seul l'anéantissement de ce qui existe aujourd'hui permettrait de reconstruire quelque chose de sain. Après tout, on ne construit pas sur des fondations complètement pourries.

Il fait volte face et plante son regard dans celui de Maud. Il doit le dire, pour qu'elle comprenne, qu'elle comprenne qu'il n'y a pas d'autre option. Que ce n'est pas lui qui fuit mais la situation qui n'a pas d'autre issue. Pour qu'il puisse mettre tout ça derrière lui. « Tu es une marchombre.. Et je suis un mercenaire. » Voilà, c'est dit. Le couperet est tombé. Elle comprend, elle doit comprendre, qu'il n'y a pas de choix ici. Qu'elle n'a pas le choix de renoncer, de laisser tomber. « Tu comprends, maintenant ? » Ils sont les exacts opposés l'un de l'autre et rien ne pourra changer quelque chose à cela.

Elle ne parvient pas à soutenir son regard plus de quelques secondes et cela achève de le convaincre. Elle n'approuve pas ses choix, la voie qu'il suit et pourtant il n'en changerait pas aujourd'hui. Ce n'est pas dans ses plans. Cette voie lui a été proposée il y a bien longtemps, mais il ne l'a pas accepté par dépit.. Loin de là. Il est convaincu que ce monde est trop brisé pour qu'il en ressorte quelque chose de bon. Peut-être cela faisait-il écho à ses propres craquelures de l'époque ? Peut-être, oui. Peut-être est-ce ça qui l'a décidé.. Mais la conviction est bien là, bien présente. Il ne vit pas dans un monde de bisounours. Tout n'est pas beau, tout n'est pas rose. Le monde est une vaste étendue de vase dans laquelle on s'empêtre et de laquelle on a du mal à s'extirper. Point. « Tu as tort, il n'y a pas que ça.. » qu'elle murmure la petite voix, lassée de ce discours continuellement défaitiste. Perdu dans ses pensées, il se rend seulement compte que la marchombre sanglotte. Il voudrait la prendre dans ses bras, la rassurer.. Mais à quoi bon ? Elle est justement en train de se rendre compte de la situation, en train de mesurer à quel point c'est impossible.. Il la laisse donc prendre conscience de l'ampleur du fossé qui s'est creusé entre eux en silence, le regard impassible pour tenter de garder au mieux ses émotions pour lui.. « Idiot.. » La petite voix l'agace. Il n'est pas idiot, juste réaliste.

La brune se lève finalement pour venir se planter devant lui. Elle semble déterminée, resolue. Il est persuadé qu'elle s'est rendue à l'évidence, qu'elle va mettre fin à toute cette mascarade.. Mais il n'en est rien. « Mercenaire ou pas, je ne t'abandonnerais pas. Je ne compte pas renoncer. » Il tombe des nues. Sa mâchoire en tombe légèrement. Cela arrive rarement mais il ne sait pas quoi dire, pas comment réagir. Il ne sait pas comment garder la face. Il en reste muet et la demoiselle enchaîne dans un souffle.. « Comment ? » Il ne répond pas immédiatement. Il ne sait pas par où commencer, comment lui expliquer. Au vu de sa réaction à l'annonce de ce qu'il était devenu, il avait l'impression qu'aucune réponse ne serait la bonne, qu'aucune explication ne serait valable.. Il a l'impression qu'elle ne le voit que comme un monstre, un tueur sans aucune lueur d'humanité. A vrai dire, en enchainant les contrats, il a peut-être perdu une part de ce qui faisait de lui un humain.. Cela est sûrement le cas. Et elle aurait donc raison de le voir comme ça, finalement. « Tu étais partie.. Tu n'étais plus là.. » Oui, il était perdu, il e savait plus vers qui se tourner ou comment survivre sans elle, à l'époque..

Laissant échapper un soupir las, il se détourne de la jeune femme pour se diriger vers le lit. Il y grimpe pour se positionner en tailleur, en tapotant la place devant lui pour qu'elle fasse de même.. Comme à l'époque. Comme lorsqu'ils étaient encore Zach et Ibtissam. Alors, ils passaient des heures entières à discuter, rire, se chamailler et rêver d'autres vies dont ils pouvaient à peine oser rêver. En l'observant, on pouvait presque entrevoir Zach, le petit garçon des rues crades d'Al-Chen.. Son visage était tout de même plus dur, plus anguleux et semblait, ce soir, épuisé par tout le poids du monde. Il ne l'avouerait pas, mais cela faisait bien des années qu'il n'avait pas ressenti autant d'émotions différentes en si peu de temps et cela l'avait épuisé. Peut-être était-ce pour cela que ce mur qu'il s'était forgé depuis tant d'années se fissurait légèrement ? Très légèrement.. « Tu étais partie, c'est vrai.. Et ça m'a brisé. » Il ne mâche pas ses mots, elle doit comprendre. « Me sentir abandonné par ma seule famille m'a abattu et quand la Mégère, quelques années après, m'a annoncé que tu étais morte.. Ca m'a achevé. Je n'avais plus de but, plus rien à quoi me raccrocher. » A ce moment, la marchombre lui cherchait sûrement encore des excuses, une explication, un moyen de lui pardonner ce chemin qu'il avait emprunté, même.. Elle avait à la fois tellement l'air d'avoir envie que ça fonctionne et ressenti tellement de déception que Zacharya avait du mal à s'imaginer vraiment ce qu'elle pouvait avoir en tête. Dans tous les cas, il ne peut la laisser croire qu'il a suivi la voie du chaos par dépit. « Et puis il y a eu Orion.. Il a voulu que je le suive, que j'apprenne de lui.. Et vu comme le monde partait en vrille, j'ai accepté. Il avait raison, Maud.. Il n'est pas possible de construire sur des racines malades. Le chaos peut sembler mauvais, mais parfois il est nécessaire pour reconstruire. » Lui qui avait regardé dans le vide, les yeux perdus dans ses souvenirs jusque là, plante alors son regard azur dans celui de Maud, attendant que le couperet ne tombe. « Je n'ai pas suivi le chemin du chaos par manque de choix, Maud. Je l'ai choisi parce qu'il était le moyen pour moi de me reconstruire. Il a été salvateur. » Il garde son regard planté dans celui de la jeune femme, espérant que cela l'empêche de le rejeter, l'empêche de fuir. Il est convaincu que cela ne peut marcher, mais au fond de lui une petite voix espère le contraire..

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