higher ground (karha)

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@Karha Iorweth

Une fois revenus à Al-Chen, elle a quitté la caravane sans même prendre le temps de dire au revoir. Elle n'en avait pas envie, de toute façon ; pas après ce qui a pu se passer à quelques dizaines de kilomètres de là à peine, pas après les mots qui ont été échangés. Elle s'est contentée de récupérer son sac, sa hache et sa jument, et de prendre la direction du sud sans un seul regard en arrière.

En temps normal, le trajet entre Al-Chen et la capitale ne dure pas très longtemps. Trois, quatre jours, moins si elle pousse sa monture au galop, mais Sveira a décidé de prendre son temps. Elle en a besoin, ne serait-ce que pour se calmer et pour éviter de taper sur la première personne qu'elle va croiser, parce qu'elle est encore terriblement sur les nerfs. Elle s'est contentée de prendre quelques vivres en ville, et surtout beaucoup d'alcool, et depuis elle vogue.

Le sud de l'Empire est tellement calme. Entreprendre un tel voyage sur les Plaines de Shaal l'aurait sans doute rendue aux portes d'Astariul et de ses goules et brûleurs, mais ici tout semble terriblement paisible. Si elle continue vers l'est, elle trouvera Pointe Rouge, et si elle pique plein sud elle pourra voir l'Arche et sa majesté qui lui arrache toujours quelques larmes, ou même Fériane, jetée au-dessus de sa rivière. Mais à la place elle reste dans les terres, là où elle ne croise que quelques hameaux et quelques fermes fortifiées, des hardes de siffleurs et quelques troupeaux de coureurs sauvages, et ça lui fait du bien.

Elle est partie depuis trois jours, pourtant elle n'arrive toujours pas à se calmer. Elle ressasse, encore et encore, cette engueulade magistrale qui l'a opposée à Caliban Kazrel, et elle n'arrive toujours pas à se remettre de cette altercation. Les mots qu'il lui a balancés se ressassent, encore et encore, dès qu'elle s'arrête assez longtemps pour avoir le temps de réfléchir, et son cœur stupide saigne un peu plus à chaque fois qu'elle y repense.

Stupide, stupide, stupide petite gamine idiote.

Parce que bon, le crush qu'elle avait sur lui au tout début était évident. Un crush qu'elle a bien vite étouffé, certes, parce que Caliban est un crétin fini et surtout qu'il est clairement amoureux de quelqu'un d'autre et que Sveira refuse d'être un second choix, mais il était tout de même bien présent, et maintenant... maintenant... et bien, tout est parti en fumée, elle suppose.

La bière est dégueulasse, mais au moins elle réchauffe mieux que le feu qui brûle devant elle. Hermine est en train de brouter tranquillement, attachée à un arbre non loin, et Sveira s'est installée sur un bout du tronc de l'arbre qu'elle a abattu quelques heures plus tôt à grands coups de hache furieux. L'exercice ne l'a pas vraiment apaisée, et maintenant elle frissonne un peu sous sa peau de siffleur, en mâchonnait un morceau de pain aux herbes. La nuit est claire, et il n'y a qu'une nuée d'étoiles au-dessus de sa tête, qui accompagne une lune presque pleine qui éclaire les environs presque comme en plein jour.

C'est calme. C'est pour ça que le bruit d'une voix qui chantonne la surprend, et la rend suspicieuse — elle se redresse, une main déjà refermée sur le manche de sa hache qu'elle balance sur son épaule. Elle ne devrait sûrement pas investiguer alors qu'elle a bu, encore moins quand elle est encore furax, mais elle préfère être prudente et s'assurer que ce n'est rien de grave.

Elle ne s'attend pas à tomber sur Karha Iorweth. La Faëlle est habituellement une habitante d'Al-Jeit, et bien qu'elle l'adore, elle ne sait pas si elle veut la voir en ce moment... Surtout avec ce qui s'est passé dernièrement. Mais Karha est vêtue d'une simple robe, d'après ce qu'elle peut apercevoir dans la pénombre, et en dépit de ses récentes envies de meurtre, elle soupire un peu et se rapproche pour se faire connaître. « Karha. Qu'est-ce que tu fiches ici ? Et dans cette tenue en plus ? » Elle n'attend même pas de réponse, s'est déjà emparée de la main de la Faëlle pour l'entraîner à sa suite vers son petit campement. « Viens te réchauffer. Franchement, il doit faire en dessous de zéro... »

Elle verra pour faire le tri dans ses propres sentiments plus tard. Un jour. Peut-être.

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@Sveira Ingan

Vaporeuse et invisible. Les pieds qui effleurent la terre presque sans la toucher. Portée la où le vent semble le plus accueillant. A peine tournant la tête devant la beauté de l'arche, noyée dans des vêtements trop grands, Karha est bien présente, mais pas tout à fait là. Comme L'acrobate qu'elle est, dansant sur le fil fin du tangible et de l'insaisissable. Entre songe et existence.

Elle n'a pas pu rester. Elle qui aime le silence, ne pouvait pas affronter à la fois les bruits insupportables de son esprit et le vide autour d'elle. Le froid n'était plus supportable. Il n'était plus ce réconfort qu'elle avait dans les ténèbres. Elle le sentait dans son sang, dans ses nuits agitées, il était temps de partir. Pour quelques temps. Une semaine. Un mois. Plus longtemps. Elle l'ignore.
Malgré la solitude que laisse son départ pour ceux qui ont la mauvaise idée de s'attacher à elle, ils ne s'inquiètent pas. Elle reviendra.
Normalement.
A vrai dire elle n'en a jamais été moins sûre. Mais quelque part dans les recoins de son palpitant qui saigne sans fin, elle sait qu'elle ne peut pas s'éloigner trop longtemps. Elle sait que c'est là où s'arrête sa liberté. Ou peut être que la liberté de pouvoir revenir est ce que les ombres lui ont offert. Elle n'en sait rien. Et Karha, malgré sa philosophie, n'est guère philosophe. Ce qu'elle ressent lui appartient à elle, et a personne d'autres, nul besoin de l'expliquer. C'est réconfortant pour elle. Mais extrêmement isolateur.

La nuit est tombée dans la forêt où ses pas l'ont conduite. Les derniers jours furent tapissés de souvenirs flous de villages et petit commerces, chants et danses offerts pour une paillasse et une soupe. Tant de bout d'art suintants de beauté froide qui ne dépeignent que les questions qui agitent son âme. Que le chagrin qu'elle n'arrive pas a évacuer. Chaque pas loin de la discorde est un qu'elle ne peut pas mettre entre sa souffrance.

Ses yeux clignent doucement. Quelqu'un est ici. Karha ne fait pas le moindre effort pour se dissimuler -et par les ombres que ce serait facile pour elle. Le reflet de la hache ne la fait pas trembler, mais la voix de Sveira est une surprise. L'entendre la gourmander encore plus. Fait il si froid que ça? Elle l'ignore en vérité. Voilà depuis son entraînement que la météo n'a qu'un effet très relatif sur elle. Sa tête penche sur le côté, essayant de comprendre la situation. La rousse n'est pas supposée être ici. Elle n'est pas non plus supposée être seule.

"C'est très aimable a toi Sveira." Fit la jeune femme, sincère. Un doux sourire sur ses lèvres sombres, bien qu'étrangement lointain. "Tu m'en vois navré, je n'ai rien à te donner en échange que des chansons. Et une conversation."

La courte faelle prend place près du feu, plus pour paraître normale -autant que faire se peut. "Je ne m'attendais pas à te trouver ici." Fit-elle, badine, mais sincèrement curieuse. "Je ne m'attendais pas à te trouver tout court" une épaule se relève. "J'imagine que tu peux dire la même chose à mon sujet …"

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@Karha Iorweth

Karha a toujours cultivé l'étrangeté. C'est une Faëlle, et les Faëls sont difficiles à comprendre en temps normal, mais Karha a cultivé l'étrangeté de son peuple jusqu'à l'élever au rang d'art, et Sveira a depuis longtemps laissé tomber l'idée de la comprendre entièrement. C'est sans doute impossible, et ça lui convient bien — Karha existe, et c'est une amie, et c'est tout ce qui lui importe.

Même si elle aurait préféré ne pas la croiser. Pas aujourd'hui, pas comme ça, certainement pas tout de suite. Pas quand elle a du mal à se poser, à mettre les mots sur le maëlstrom de choses qui se bousculent dans sa tête et dans sa poitrine. Un maëlstrom dont Karha est un des centres, bien malgré elle.

La situation est compliquée. Sveira déteste les situations compliquées. Taper sur les ennemis — ça, c'est simple. C'est ce qu'elle sait faire de mieux.

Mais il fait nuit, la température est largement négative, et même si elle n'a aucun doute que la Faëlle sait se débrouiller toute seule, elle préférerait qu'elle évite de crever d'hypothermie. Alors elle la tire à sa suite, la main refermée autour de son poignet, la mine butée. S'il faut qu'elle la balance sur son épaule pour qu'elle suive, elle le fera — mais heureusement, Karha n'essaie même pas de résister.

Elle a toujours cultivé l'étrangeté. Mais ce soir, elle a l'air plus étrange encore que d'habitude — comme si son esprit était ailleurs, bien loin de son corps, et le sourire qu'elle lui offre n'a pour une fois rien de réconfortant.

« Je pense qu'on se connaît assez pour ne pas tomber dans ce genre de civilités. » Le mot est craché comme une insulte. La société alavirienne fonctionne sur l'échange, rarement équitable, quoi que veuille en dire l'Impératrice et son conseil. Karha est quelqu'un qu'elle considère comme une amie, toutefois, et lui offrir son aide est naturel. Elle ne fait pas ça dans l'espoir de recevoir quoi que ce soit en échange. Alors pendant que la Faëlle s'installe près du feu, et que Hermine renâcle un peu à l'intrusion, Sveira rallonge un peu le fond de ragoût de siffleur au fond de sa casserole qu'elle met à réchauffer. Elle doit avoir faim.

Toute à sa cuisine, Sveira ne s'attend pas à ce que Karha parle en premier. Ses mots la surprennent, et son regard se braque sur elle pendant un moment — puis un sourire dépréciatif étire sa bouche, un sourire amer, sans aucune joie ni chaleur. « J'avais besoin d'air. » Prétexte stupide. Elle vient de passer un mois sur les routes, à respirer tout l'air dont elle avait besoin. Mais elle retourne à sa casserole, dont elle remue le contenu odorant du bout d'une cuillère en acier. Ses sourcils se sont froncés. « Disons que si j'étais restée en ville, j'aurais sûrement tué quelqu'un. Et j'essaie d'éviter les geôles impériales. »

Elle en restera là, toutefois. Peu importe à quel point elle apprécie Karha, elle reste malgré tout l'une des sources de ses problèmes, et elle préférerait garder de bonnes relations avec elle. Donc elle se verrouille, enfouit tout ça bien au fond de son cœur, et préfère tendre un bol de ragoût dans sa direction plutôt que de lui poser toutes les questions qui lui trottent dans la tête. C'est tout sauf le moment. « Mange. Ca te fera du bien. »

Ce n'est pas le moment, non. Et en dépit de toutes les questions qu'elle aimerait poser, en dépit des réponses qu'elle aimerait avoir, elle préfère se préserver. Elle n'est pas certaine d'aimer les réponses qu'elle obtiendra, et Sveira a déjà eu le cœur suffisamment brisé ces derniers temps.

Le silence est bien plus réconfortant, alors elle se cale contre son sac, un gobelet de vin dégueulasse dans la main. Toute cette histoire la fatigue vraiment.

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@Sveira Ingan

Ah, le ton cynique est sec de Sveira. Comme un coup d'épée dans la brume. Karha y trouve une certaine consolation, une familiarité bienvenue dans le trouble de ses pensées. La guerrière, a toujours eu cette fougue qui l'encre perpétuellement dans la réalité. À ses côtés, la petite dame ne semble pas exister. Même si sa présence fait tourner les têtes, elle n'est qu'un étrange reflet au détour d'une fenêtre, un spectre taquin qui semble sourire depuis un rêve. Sveira, elle, est une présence dont le sang semble bouillir prêt à immoler tout autour d'elle. Humainement chaude et humainement brillante. Malgré toutes leurs différences et leur caractère diamétralement opposés, il est impossible pour la brune de ne pas trouver un charme sincère à cette force de la nature.
La danseuse sourit d'un air absent, mais pourtant elle apprécie toute la réalité de cette situation, de leur rencontre fortuite au détour de cette forêt.

Mais la rousse à tort. Alors qu'elle vomit le fiel d'une insulte dont la danseuse n'y trouve pas ombrage, mais qu'elle relève néanmoins Sveira a oublié que non. Kahra n'est pas civile. Les courbettes et quolibets, les messes basses et les protocoles n'ont jamais atteint en aucun cas cette jeune femme qui a grandi dans la forêt de Baraï, ou tout ceci relève de la pure abomination. Si elle a parlé ainsi ce n'est pas par civilité, mais bel et bien par sincère affection et reconnaissance pour la main tendue. Et la virtuose de la hache est sur le point de s’en rendre compte.

Un sourire sans joie alors que ses yeux se penchent sur le reste de soupe qui lui est offert. La chaleur du plat sur les doigts est étrangement le bienvenue, même si finalement, la faim ne se fait pas entendre dans les entrailles de la jeune femme. Un fantôme qui fréquente l’énergie insaisissable de la guerriere. Presque immobile, jamais léthargique.

“Je comprends sans peine.” Murmure la faelle, regardant le plat comme si elle pouvait y lire une vérité immuable, comme certaines personnes le font avec le thé. De la divination avec des restes d’os et de légumes. Karha a fait plus étrange. “Je suis navrée que tu te sois retrouvée dans une situation pareille. C’est injurieux.”

La cuillère touille le ragoût sans qu’elle n’y touche pour autant. Perdue dans la contemplation des patates qui danse avec la viande. Karha n’est pas civile. Les nœuds du problème, elle les attaque sans préavis. Elle arrache les bandages sans craindre la douleur. Quoique puisse l'angoisse, ne pas savoir resterait pire.

"J’aurai préféré que la situation m’étonne juste un peu plus.” Fit-elle sans plus expliquer le fond de sa pensée. Peut-être que elle-même ne sait pas où elle va avec cette réflexion. Mais rien ne la surprend. Alors pourquoi c’est néanmoins si douloureux ?

Elle releve ses grands yeux noirs sur la jeune femme et esquisse un sourire qu’elle imagine poli, mais qui est plus affligé qu’elle l’aurait prévu. “C’est une bien piteuse affaire que voilà, n’est-ce pas ?...” Elle soupire malgré elle avant d’ajouter en détournant le regard. “Ne lui en veut pas trop. Lui aussi est animé par des choses bien au dessus de lui.”