Fight club

L’auberge de la Corne de Brume était telle que dans mes souvenirs. Tenue par un vieux couple d’Alines, implantés dans la capitale depuis près de vingt ans, l’établissement avait ouvert ses portes depuis presque aussi longtemps que l’arrivée de ses propriétaires sur le continent. Half et Caitriona Fenhrir avaient acheté ce grand local situé au cœur d’un modeste quartier d’Al-Jeit pour une bouchée de pain. Aujourd’hui, la taverne était devenue le lieu le plus populaire de tout le quartier et constituait un véritable point de rencontre pour tous les habitants. Parmi les activités que les patrons proposaient, des tournois de lutte s’organisaient en ces murs une fois par mois. Ils permettaient à certains de se défouler après une dure journée, à d’autres de régler leurs comptes. Quoiqu’il en soit, cet évènement attirait toujours du monde. Ce soir-là ne faisait pas exception à la règle.

Je parviens à me faufiler jusqu’au bar en louvoyant au beau milieu d’une foule en délire. Les hurlements et les rugissements les plus bestiaux retentissent dans toutes la pièce. Pour un peu, on dirait presque une horde de Raïs enragés ! Le sol tremble sous mes pieds, sous les assauts violents de cet attroupement de spectateurs en furie. Un pauvre type est en train de se faire littéralement massacrer sur le ring, augmentant encore l’ambiance survoltée. Dès le départ, il n’avait eu absolument aucune chance. Mais l’idiot était quand même monté dans l’arène pour tenter de prouver sa virilité. Son adversaire possède clairement la carrure d’une brute épaisse. Il ne me faut cependant qu’un seul coup d’œil pour constater que sa manière de combattre est loin d’être subtile, même s’il faut bien reconnaître qu’il frappe particulièrement fort.

Une jeune serveuse débordée – et surtout occupée à éviter toutes les mains tendues sur ses fesses – m’apporte enfin la boisson que je lui avais commandé. La pauvre. Je n’ai pas le temps de m’apitoyer plus sur le sort de la fille puisque le combattant qui prétendait défier le champion en titre de la soirée valdingue soudain dans les airs pour s’écraser au sol quelques mètres plus loin. Inconscient, évidemment. Haussant un sourcil, je reporte mon attention sur le monstre qui célèbre triomphalement sa victoire sur le ring.

- « A qui le tour ? Qui sera le suivant à m’affronter, bande de mauviettes ? » tonna l’homme en leva le poing en signe de victoire.

Un petit sourire se dessine un instant sur mes lèvres. La seconde suivante, je commence déjà à m’avancer vers le ring. Lorsque je me hisse enfin dans l’arène improvisée, poings sur les hanches, menton relevé en signe de défi, l’auberge entière sombre brutalement dans le silence. Quelques secondes à peine. Avant que des éclats de rire tonitruants ne retentissent dans tout l’établissement et jusque dans la rue. Imperturbable, je fais jouer brièvement mes articulations pour ne pas risquer de me blesser. Mon regard noir brille un instant.  

- « Tiens donc, une petite souris en mal de sensations fortes ! » observa le guerrier de son rire gras et sonore « Quand j’en aurai fini avec toi, sois-sûre que je prendrai plaisir à te défoncer d’une toute autre manière ! » vociféra-t-il, une lueur lubrique dans le regard.

C’est ce qu’on verra, songeais-je en adoptant une position de garde parfaite. Avec un petit sourire provocateur, j’adresse un signe à mon adversaire pour le pousser à m’attaquer sans réfléchir. La réaction de ce type n’est pas très difficile à deviner. L’homme fulmine littéralement qu’une femme ose lui tenir tête ainsi – ce doit vraiment être la première fois, mais une chose est certaine, il se souviendra de moi ! Et pas de la manière dont il le pense ! Laissant l’armoire à glace tenter une première attaque, je me glisse sous son poing avec une facilité déconcertante pour tournoyer dans son dos et envoyer mon coude dans son plexus solaire avec violence. Plié en deux, mon adversaire recule sous l’impact du coup, le souffle coupé. Comme un chat avec une pelote de laine, je marche en cercle autour de ce type et lui laisse le temps de se relever. En réponse à mon sourire provocateur, le géant hurle de rage en se jetant littéralement sur moi.

Dans un réflexe ahurissant, je parviens à éviter la masse de muscles lancé à pleine vitesse vers moi. Et l’homme finit par s’aplatir lamentablement, face contre le sol. Autour du ring, les hurlements des spectateurs sont presque galvanisants. Il faut avouer que c’est franchement amusant de voir mon adversaire patauger dans propre rage. Et surtout, de lire la panique dans son regard. Roulant des épaules, je rétrécis lentement mes cercles autour de mon adversaire – tel un fauve avec sa proie. L’homme tente de m’avoir soudain par surprise, toutefois mes réflexes bien rôdés prennent le dessus. Lassée, je décide finalement d’achever ma victime. Après tout, un combat ne dure qu’un temps. Sans aucune pitié, je le fauche d’un puissant coup qui fait craquer sinistrement ses chevilles. Mon adversaire ne peut retenir un hurlement de douleur. D’une rapidité fulgurante, je le bloque d’un genou posé sur son torse et abats mon poing sur son nez qui explose dans une gerbe de sang.

La violence du coup fait littéralement perdre connaissance au colosse tandis que je me relève tranquillement en essuyant d’un revers de bras une goutte de sang qui avait giclé sur mon visage. Puis, les poings sur les hanche, je défie silencieusement l’assemblée tout en appréciant l’adrénaline qui pulse dans mes veines.

Au suivant !

Siv jubile. Elle a prit un peu de temps pour s'éloigner de la Citadelle, de Strom et des batailles pour voyager à travers l'Empire. Elle s'est arrêtée par hasard dans une auberge, la Corne de Brume, qui semblait être suffisamment propre pour qu'elle ose y passer la nuit. Habituée au confort de sa chambre, partagée avec Idunn, Siv n'a pas très bien dormi sur le matelas dur, même si elle avait également l'habitude de dormir dehors. Rien n'égalait son petit cocon, suspendu sous le plafond de la Citadelle.

Par pur hasard, la Frontalière était arrivée la veille d'un tournoi de lutte. A la base, elle ne voulait qu'y assister, pas y participer, mais voir cette femme brune hacher menu son adversaire, un poil trop arrogant pour son bien, lui donna envie de s'infliger un nouveau défi. Alors après que la brune ait démoli son adversaire, Siv entra sur le ring à son tour. Sans un regard pour l'homme étalé sur le sol, Siv se plaça devant le combattante, assurée, la défiant du regard. Aucun mot ne franchit ses lèvres, mais son corps tendu montrait qu'elle prenait son adversaire très au sérieux. Elle avait eu le temps d'apercevoir le style de combat de la brune, et elle pensait être capable de lui opposer un peu plus de challenge que l'homme avant elle.

Autour des deux femmes, le public se mit à hurler. La Frontalière ignorait si les hurlements étaient des huées ou des cris de joie, mais elle n'en avait pas grand-chose à faire. Le public était une distraction, elle l'avait bien compris lors de son premier duel contre Strom, l'année de ses 15 ans. Elle n'avait plus jamais commis l'erreur de faire attention aux spectateurs après la raclée qu'elle s'était prise ce jour là.

La tête haute, le regard droit, Siv se plaça dans une garde impeccable. Hors de question pour elle de sous-estimer son adversaire du moment, pas après avoir vu ce dont elle était capable.

Lancé de dé

Siv s'élança, armant son poing, le dirigeant vers la gorge de la femme brune. Mais le coup fut trop faible, loin d'être suffisant pour lui faire mal, encore moins pour la mettre à terre. Sans laisser à l'autre le temps de répliquer, Siv se replaça d'un bond en arrière, reprenant sa garde parfaite, attendant l'action de la brune.